Espace vectoriel#
Avertissement:
Nous commençons par la notion d’espace vectoriel sans introduire des notions usuelles d’algèbre telles que les groupes, les anneaux ou encore les corps. Elles seront tout de même rappelées mais nous préférons une présentation intuitive basée sur l’ensemble des nombres réels \(\mathbb{R}\) ou des nombres complexes \(\mathbb{C}\), qui sont des exemples particuliers de corps.
Les notions de groupe commutatifs et de corps, bien qu’essentielle avec notamment la construction du corps des nombres réels, sont souvent un frein au calcul matriciel, et peuvent effrayer un certain nombre d’étudiants. Nous choisissons ici de faire l’impasse sur ces notions dans une première présentation.
En mathématiques appliquées, nous sommes amenés à étudier ou déterminer
des fonctions de une ou plusieurs variables
un nombre fini de paramètres (pouvant représenter la discrétisation d’une fonction) Ces inconnues répondent en général à un modèle (physique) répondant à des lois via des EDP ou bien elles définissent une fonction de coût que nous pouvons vouloir optimiser.
Dans tous les problèmes, on retrouve certaines opérations ou transformations de ces objets, essentiellement :
l’addition
la multiplication par un nombre (scalaire) Nous avons donc juste besoin d’assurer que ces opérations sont bien définies et ont bien un sens (mathématique).
Definition (une présentation intuitive)
Un espace vectoriel \(E\) est un ensemble d’éléments \(x,y,\dots\), appelés vecteurs, sur lequel sont définis les opérations linéaires :
une addition (entre deux vecteurs)
une multiplication par un scalaire (un nombre réel ou complexe).
On retrouve alors les règles usuelles liées à la notion d’addition et de multiplication, à savoir commutativité, associativité, distributivités. Pour tous vecteurs \(x,y,z\) et tout scalaire \(\lambda\)
Tip
Dans le jargon mathématicien l’addition désigne une opération interne entre deux vecteurs de \(E\) donnant un vecteur de \(E\), tandis que la multiplication est une opération externe entre un scalaire et un vecteur de \(E\) donnant encore un vecteur de \(E\).
On parle d’espace vectoriel réel si les scalaires sont les nombres réels. On parle d’espace vectoriel complexe si les scalaires sont les nombres complexes. Dans toute la suite, sauf mention contraire, les espaces vectoriels seront réels.
Example 1
Le premier exemple d’espace vectoriel réel est l’ensemble des nombres réels \(\mathbb{R}\) lui-même, avec évidemment les addition et multiplication usuelles. Dans ce cas particulier, les nombres réels sont à la fois considérés comme des scalaires et comme des vecteurs en tant qu’éléments de l’espace vectoriel.
Example 2
Il en va de même pour l’ensemble des nombres complexes \(\mathbb{C}\). Cependant, dans ce cas, on peut distinguer deux possibilités : \(\mathbb{C}\) en tant qu’espace vectoriel complexe, ou bien \(\mathbb{C}\) en tant qu’espace vectoriel réel (on parle de plan complexe pour cette dernière).
Example 3
L’ensemble des fonctions définies sur un intervalle \([a,b]\subset\mathbb{R}\) à valeur réelle: on définit naturellementl’addition de deux fonctions \(f\) et \(g\) par :
La multiplication d’une fonction \(f\) par un scalaire \(\lambda\) est définie par
Important
Un point crucial est que l’addition est une opération interne. Par exemple, l’addition de deux fonctions doit encore être une fonction du même type. Il en va de même pour la multiplication:
C’est la stabilité linéaire:
Important
Un espace vectoriel contient nécessairement un élément neutre pour l’addition à savoir le vecteur nul, en général noté 0 :
Pour tout élément d’un espace vectoriel, il existe son opposé; on le note avec le signe \(-\):
Example 4
Le sous-ensemble des fonctions continues définies sur \(\mathbb{R}\) valant 1 en 0, n’est pas un espace vectoriel pour l’addition et la multiplication usuelle, puisque la fonction nulle n’en fait pas partie.
Tip
Le point fondamental dans une structure d’espace vectoriel et qui le différencie d’une structure de groupe est l’opération externe, produit par un scalaire. Autrement dit, un espace vectoriel, sauf s’il est réduit à un élément neutre, est un ensemble infini.
Pour information et par souci de complétude, donnons la définition exacte, précise et abstraite de la notion d’espace vectoriel:
Definition 1 (Espace vectoriel)
Soit \(E\), un ensemble abstrait, muni d’une opération interne notée ‘+’ et d’une opération externe notée ‘.’ avec un scalaire réel (resp. complexe).
On dit que \((E,'+','.')\) possède une structure d’espace vectoriel sur \(\mathbb{R}\) (resp. sur \(\mathbb{C}\)) si les conditions suivantes sont satisfaites :
\(\forall \mathbf{x}, \mathbf{y} \in E,\) \(\mathbf{x}+\mathbf{y}\in E\)
\(\forall \mathbf{x} \in E,\) \(\forall \lambda \in \mathbb{R}\) (resp. \(\in \mathbb{C}\)), \(\lambda . \mathbf{x} \in E\)
\(\forall \mathbf{x}, \mathbf{y}, \mathbf{z} \in E,\) \((\mathbf{x}+\mathbf{y})+\mathbf{z} = \mathbf{x} + (\mathbf{y}+\mathbf{z})\)
\(\forall \mathbf{x}, \mathbf{y} \in E,\) \(\mathbf{x}+\mathbf{y}= \mathbf{y}+\mathbf{x}\)
\(\forall \mathbf{x} \in E,\) \(\forall \lambda,\mu \in \mathbb{R}\) (resp. \(\in \mathbb{C}\)), \((\lambda\mu) . \mathbf{x} = \lambda.(\mu.\mathbf{x})\)
\(\forall \mathbf{x},\mathbf{y} \in E,\) \(\forall \lambda \in \mathbb{R}\) (resp. \(\in \mathbb{C}\)), \(\lambda.(\mathbf{x}+\mathbf{y})= \lambda . \mathbf{x}+ \lambda . \mathbf{y}\)
\(\forall \mathbf{x} \in E,\) \(\forall \lambda,\mu \in \mathbb{R}\) (resp. \(\in \mathbb{C}\)), \((\lambda+\mu).\mathbf{x} = \lambda . \mathbf{x}+ \mu .\mathbf{x}\)
Il existe \(0_{E}\in E\) tel que \(\forall \mathbf{x} \in E,\) \(\mathbf{x}+ 0_{E}=0_{E}+\mathbf{x}=\mathbf{x}\)
\(\forall \mathbf{x} \in E,\) \(\exists \mathbf{y} \in E\) tel que \(\mathbf{x}+\mathbf{y}= 0_{E}\)
A la première lecture, cela fait beaucoup de choses à apprendre et à connaître, mais il est facile de ne retenir que l’essentiel : :
l’addiction est commutative (4), associative (3), posséde un élément neutre (8)
pour chaque élément de \(E\) il existe un symétrique pour l’addition (9); on parle également d’élément opposé.
l’opération externe (produit par un scalaire) posséde les propriétés de distributivité à gauche (6), d’associativité mixte (5) et de distributivité à droite (7).
Exercice
Montrer que dans tout espace vectoriel \(E\), réel ou complexe:
Important
Il faut noter que l’addition entre deux scalaires (7) est notée de la même façon que l’opérateur interne avec le symbole \(+\), cependant, il ne s’agit pas en général de la même opération. Cet abus d’écriture peut désorienter certains, mais dans la pratique, il n’y a jamais d’ambiguïté.
Un élément d’un espace vectoriel est appelé vecteur, et hormis les cas triviaux d’espaces vectoriels tels que \(\mathbb{R}\), nous choisissons de noter les vecteurs en caractère gras.
Remarquons que la notion espace vectoriel est une notion de structure d’un ensemble muni d’opérateurs:
On désigne usuellement de manière abusive (mais sans ambiguïté) l’espace vectoriel \((E,'+','.')\) tout simplement par \(E\), car les opérations interne (addition) et externe (multiplication par un scalaire) sont généralement implicites et ne nécessitent pas d’être rappelées.
Exercice
Montrer que les exemples 1,2,3 sont bien des espaces vectoriels.
Sous-espace vectoriel#
Definition 2
Soit \(E\) un espace vectoriel réel et soit un sous-ensemble non vide \(X\subset E\).
\(X\) est un sous-espace vectoriel réel s’il satisfait aux conditions de stabilité linéaire:
pour tout \(\mathbf{x},\mathbf{y} \in X\) et pour tout scalaire \(\lambda\in \mathbb{R}\).
Remark 1
On a naturellement une définition analogue pour les sous-espaces d’espaces vectoriels complexe.
Example 5
toute droite de \(\mathbb{R}^{2}\) passant par 0 est un sous-espace vectoriel de \(\mathbb{R}^{2}\)
toute droite ou tout plan de \(\mathbb{R}^{3}\) passant par 0 est un sous-espace vectoriel de \(\mathbb{R}^{3}\).
dans \(\mathbb{R}^2\), la droite d’équation \(y = x+1\),
est un sous-espace affine mais n’est pas un sous-espace vectoriel.
Produit d’espaces vectoriels#
Soient \(E_{1}\) et \(E_{2}\) deux espaces vectoriels réels (resp. complexes). On définit l’espace produit par l’ensemble
On munit cet espace produit d’une addition et d’une multiplication induite par celles de \(E_{1}\) et de \(E_{2}\) :
Munis de ces opérations linéaires, l’espace produit \(E_{1}\times E_{2}\) est encore un espace vectoriel réel (resp. complexe).
Espaces \(\mathbb{R}^n\)
On note
et par récurrence :
Les éléments de \(\mathbb{R}^n\) sont en général notés sous forme de tableau colonne :
Exercice
Calculer
Calculer
Indépendance linéaire: vecteurs libres, vecteurs liés#
Soit \(E\) un espace vectoriel (réel ou complexe) et soient \(p\) vecteurs \(\mathbf{x}_{1},\mathbf{x}_{2},\dots,\mathbf{x}_{p}\). Si \(\alpha_{1},\dots,\alpha_{p}\) sont des scalaires, alors on dit que le vecteur
est une combinaison linéaire des vecteurs \(\mathbf{x}_{1},\dots,\mathbf{x}_{p}\).
Definition 3
On dit que les vecteurs \(\mathbf{x}_{1},\mathbf{x}_{2},\dots,\mathbf{x}_{p}\) forment une famille libre, ou bien qu’ils sont linéairement indépendants : toute combinaison linéaire non nulle de ces vecteurs est nécessairement non nulle:
Definition 4
On dit que \(p\) vecteurs \(\mathbf{x}_{1},\mathbf{x}_{2},\dots,\mathbf{x}_{p}\) sont liés si ils ne sont pas libres.
Proposition 1
Soit \(\mathbf{x}_{1},\mathbf{x}_{2},\dots,\mathbf{x}_{p}\) une famille de \(p\) vecteurs. Si ces vecteurs sont libres (ou linéairement indépendants), alors la décomposition de
est unique.
Exercice
Démontrer la proposition précédente
Montrer que la famille \(\{\mathbf{u},\mathbf{v},\mathbf{w}\}\) est une famille libre, avec
Cas des espaces vectoriels réels de dimension finie#
Definition 5 (Dimension d’un espace vectoriel)
On dit qu’un espace vectoriel \(E\) est de dimension \(n\) s’il possède une famille libre de \(n\) vecteurs et que toute famille de \(n+1\) vecteurs est liée.
Definition 6 (Famille génératrice)
On dit qu’une famille \(B\) de vecteurs de \(E\) est génératrice ou encore que cette famille engendre \(E\) si tout vecteur de \(E\) est une combinaison linéaire des vecteurs de \(B\).
Definition 7 (Base d’un espace vectoriel de dimension finie)
Une base d’un espace vectoriel \(E\) est une famille libre et génératrice, c’est-à-dire qu’une base est constituée d’une famille de vecteurs linéairement indépendants et qui engendre \(E\).
Ainsi, si \(B=(\mathbf{b}_{1},\dots,\mathbf{b}_{n})\) est une base de \(E\) alors tout vecteur \(\mathbf{x}\) de \(E\) se décompose de manière unique en une combinaison linéaire des vecteurs de la base \(B\) :
Les coefficients \(x_{1},\dots,x_{n}\) sont les coordonnées ou les composantes de \(\mathbf{x}\) dans la base \(B\).
Dans un espace vectoriel de dimension finie, nous avons le théorème fondamental :
Theorem 1
Soit \(E\) un espace vectoriel de dimension \(n\).
Une famille de \(n\) vecteurs de \(E\) engendre \(E\) si et seulement si c’est une famille libre.
\(E\) possède au moins une base et toute base est constitué de \(n\) vecteurs.
Si \(Y=(\mathbf{y}_{1},\dots,\mathbf{y}_{m})\) (\(1\leq m\leq n\)) est un système libre de \(E\), alors il existe une base de \(E\) contenant ce système. Autrement dit, on peut toujours compléter une famille libre en une base.
Preuve
Exercice
Cas des espaces \(\mathbb{R}^{n}\)#
Générallement, les vecteurs de \(\mathbb{R}^n\) sont notés par une représentation dite matricielle :
où le symbole \([...]^\top\) indique une matrice transposée (i.e les lignes sont remplacées par des colonnes).
Definition 8 (Base canonique)
La base canonique de \(\mathbb{R}^{n}\) est constituée des vecteurs
\(\mathbf{e_i}\) est le vecteur dont la représentation matricielle est un tableau de \(n\) lignes dont toutes les composantes sont nulles sauf la \(i{-ème}\) qui vaut 1.
Si \(\mathbf{x}\in \mathbb{R}^{n}\) avec \(\mathbf{x}=[x_{1},\dots,x_{n}]^\top\), alors
On a alors de cette façon :
Theorem 2
L’espace \(\mathbb{R}^n\) est de dimension \(n\). On note dim \(\mathbb{R}^{n}=n\).
et l’énoncé fondamental
Theorem 3
Tout espace vectoriel de dimension \(n\) est isomorphe à \(\mathbb{R}^{n}\).
Exemple
Produit scalaire Euclidien et norme Euclidienne dans \(\mathbb{R}^n\)#
Soit \(E=\mathbb{R}^n\) et soit Pour tout \(\mathbf{x}\) et \(\mathbf{y}\) appartenant à \(E\) et dont les composantes dans la base canonique \(\{\mathbf{e}_i\}\) de \(E\) sont notées respectivement \(x_i\) et \(y_i\) :
On définit le produit scalaire (Euclidien) de \(\mathbf{x}\) par \(\mathbf{y}\) dans \(\mathbb{R}^n\)
Il s’agit donc d’une application qui associe à deux éléments \(\mathbf{x}\) et \(\mathbf{y}\) de \(\mathbb{R}^n\), un nombre réel (un scalaire) qu’on note dans ce document \(\langle\mathbf{x},\mathbf{y}\rangle_{\mathbb{R}^n}\).
Il y a beaucoup de notations possibles pour le produit scalaire de deux vecteurs. C’est une source importante de confusion chez certains étudiants :
La notation la plus courante est \(\langle\mathbf{x},\mathbf{y}\rangle\) est adoptée dans ce document, où la notion de produit scalaire Euclidien dans \(\mathbb{R}^n\) est implicite (encore un abus de notation).
On vérifie aisément les propriétés de bilinéarité et de symétrie :
Proposition 2
Soient \(\mathbf{x},\mathbf{y},\mathbf{z} \in \mathbb{R}^n\) et soit un réél \(\lambda\). On a
Le produit scalaire induit une forme quadratique et nous avons trivialement la propriété de positivité:
Proposition 3
On en déduit une des inégalités les plus utilisées en analyse mathématiques
Theorem 4 (Inégalité de Cauchy-Schwarz)
\(\forall \mathbf{x},\mathbf{y} \in \mathbb{R}^n\),
Preuve
La preuve de cette inégalité repose sur une astuce classique utilisée dans un grand nombre de démonstration mathématiques utilisant un paramètre scalaire \(\lambda\in\mathbb{R}\) : Considérons la quantité, nécessairement positive, quel que soit \(\lambda\)
En développant, on obtient
On reconnaît donc un polynôme en \(\lambda\) du second degré qui est toujours positif. Cela signifie que le discriminant de ce polynôme est nécessairement négatif, c’est à dire
d’où
Definition 9
Le produite scalaire dans \(\mathbb{R}^n\) induit la norme Euclidienne :
On notera, sans ambiguité :
Grâce à l’inégalité de Cauchy-Schwarz, on montre facilement que la norme Euclidienne est bien une norme, c’est à dire qu’elle satisfait aux conditions, \(\forall \mathbf{x},\mathbf{y}\in\mathbb{R}^n\) et \(\forall \lambda\in\mathbb{R}\) :